Aujourd’hui Cuba affronte le plus grand défi depuis l’invasion de la Baie des Cochons et la crise des fusées en 1962. C’est ainsi que l’ambassadeur de Cuba, Juan Antonio Fernández Palacio, a débuté son intervention lors de l’assemblée générale des membres des Amis de Cuba le 24 mai 2025 à Anvers. « La population en a marre des prix élevés des denrées alimentaires et des coupures de courant électrique. Plus de 60 ans de blocus ont coûté à Cuba des milliards de dollars ce qui fait que le pays n’avait plus de tampon pour affronter une série de catastrophes.
« Quand il y a cinq ans s’est déclaré la crise du Covid-19 Cuba se trouvait face à un énorme défi. Les chances étaient nulles pour recevoir des vaccins comme ceux de Pfizer. Alors que l’économie s’immobilisait tous les moyens disponibles étaient consacrés à l’alimentation et pour trouver une solution à la pandémie. Avec des succès, le secteur bio-pharmaceutique cubain a développé trois vaccins. Par après Cuba a du subir d’importants contre-coups, comme l’incendie de l’hôtel Saratoga et des réserves de pétrole à Matanzas, les deux en 2022. En 2024 le pays a été frappé par deux ouragans, deux puissants tremblements de terre et une situation de crise extrême en fourniture d’énergie. Voila le contexte de la crise actuelle, avec en plus un blocus renforcé par les États-Unis. »
Le gouvernement cubain met tout en oeuvre pour contrôler la situation, mais les défis sont énormes.
Ceci se confirme par l’analyse de José Luis Rodríguez, économiste et ex-ministre dans son bilan annuel de l’économie cubaine en 2024.
L’économie cubaine acculée à la crise.
Le blocus économique par les États-Unis reste le principal obstacle pour le développement national de Cuba. Depuis ses débuts et jusqu’en février 2024 le blocus a cumulé les coûts à 164.061 milliards de dollars. En un an, de mars 2023 à février 2024, la perte a atteint 5,057 milliards de dollars. Par la perte de ces rentrées Cuba n’a pas pu investir assez dans le renouvellement du parc industriel, entre autres dans les centrales électriques, les fabriques de sucre, les mines de nickel (voir ci-après).
La série de facteurs externes négatifs, en cumulant les effets, a fait chuter l’économie cubaine à partir de 2019 et depuis lors le pays n’a pas pu réaliser la croissance économique prévue. En 2023 le PIB a chuté de 1,9 % au lieu de la croissance planifiée de 3 %. Selon les estimations, suite à ces facteurs externes le pays a perdu 3 milliards de dollars en rentrées extérieures, entre 2019 et 2024. Et la gestion économique de l’autorité cubaine durant les années 2021-2023 n’ a pas atteint les résultats escomptés, ce qui fait que l’année 2024 a débuté avec un déficit considérable. Avec comme conséquence un gouffre encore plus grand entre les rentrées planifiées et les rentrées réelles, encore accru durant la deuxième moitié de 2024.
La récupération lente du tourisme.
Durant des années le tourisme a été le principal moteur de la croissance économique. Mais le tourisme n’a pas pu se remettre après la mise a plat due au Covid-19, contrairement au secteur touristique international. Selon l’Office National de la Statistique et de l’ Information (ONEI) en 2024 2,2 millions de personnes ont visité l’île, soit un peu moins de 10 % des 2,43 millions de 2023. Et les prévisions pour 2025 ne donnent que peu d’espoir. En mars de cette année Cuba ne comptait que 571.772 visiteurs étrangers, par rapport aux 808.941 en mars 2024.
Chez les Cubains on entend beaucoup de voix dénonçant la construction d’hôtels de luxe alors que beaucoup d’hôtels sont vides et que la population subit des carences et des prix exorbitants. L’ambassadeur de Cuba comprend ces frustrations sauf pour l’hôtel Torre K financé par du capital étranger et qui n’a donc pas de conséquences pour les services à la population. Et J.A. Fernández ajoute qu’il est indispensable de ce préparer pour un rétablissement du tourisme.
Les revenus des exportations déçoivent.
Deux produits d’exportation classiques de Cuba sont le nickel et le sucre. Le prix du nickel a chuté d’un prix favorable de 25.541 dollars la tonne fin 2022 à environ 15.500 dollars en décembre 2024. A cause des installations vétustes d’exploitation et le manque de fonds d’investissement la production totale a chuté de 41.000 tonnes en 2023 à 32.000 tonnes en 2024. Ces chiffres confirment que les rentrées planifiées pour l’exportation ne sont pas atteints. Les prix du sucre ont également fort varié ces dernières années. Le prix du sucre brut était élevé en 2023, mais a chuté en 2024 à environ 20,92 cent le kilo. Mais le secteur sucrier affronte également des usines vieillissantes, un manque de moyens de production et un manque de moyens de transport. La conséquence en est un écroulement historique du secteur sucrier, symbole depuis plus d’un siècle de l’économie et de la culture cubaine. Pour la première fois depuis le 19e siècle la production annuelle de sucre brut ne dépassera pas les 200.000 tonnes, en dessous des 265.000 planifiés. En 2023 l’île avait produit 350.000 tonnes, déjà une diminution forte par rapport aux 1,3 millions de tonnes en 2019. Durant le siècle d’or Cuba exportait en 1989 8 millions de tonnes de sucre. Actuellement Cuba doit importer plus de sucre qu’il n’en exporte, un fait inconnu dans l’île à ce jour. La situation met également en péril la production d’une autre perle de l’exportation, le rhum.
Des nouvelles positives viennent du secteur du tabac. Habanos, le producteur de cigares a enregistré un chiffre record de 827 millions de dollars, une hausse de 16 % par rapport à l’année précédente. Cette hausse est due à la demande croissante d’Asie, surtout de la Chine, qui assure 25 % des ventes mondiales de Habanos. Cette impulsion est importante pour l’économie cubaine qui profite de la croissance des classes moyennes et hautes en Asie. Malgré les dégradations dues aux ouragans Rafael et Ian, qui ont durement touché les régions productrices de tabac en 2022 et 2023, Habanos a pu garantir une production de haute qualité.
Les importations restent plus élevées que les exportations.
Pour la production d’énergie Cuba reste dépendant de l’importation de pétrole. Les prix élevés du pétrole ces dernières années ont pesé lourd dans les caisses de l’état. Heureusement les prix ont baissé en 2024 à 78 dollars et les prix pour 2025 sont favorables avec 70 dollars. Mais l’obstacle principal est le blocus des États-Unis contre toutes les entreprises de transport qui livrent à Cuba. L’arrivée irrégulière de pétrole est une des causes principales des coupures de courant dans l’île.
Cuba dépend également de l’importation de denrées alimentaires. Ces dernières années les prix ont baissé, mais restent encore toujours plus élevés que les cours avant le Covid-19.
Les exportations restent en dessous des objectifs proposés. En 2024 Cuba a exporté plus qu’en 2023, soit 9,6 milliards contre 9 milliards. Ce chiffre positif pour 2024 doit immédiatement être corrigé car il reste en dessous de 700 millions des rentrées planifiées. Par contre les chiffres des services médicaux internationaux se comportent bien et compensent les manques d’entrées du tourisme et des télécommunications.
Si les chiffres de l’exportation restent plus bas que prévu il entre bien sûr moins de devises pour financer les importations. En 2024 Cuba n’a pu importer que 4/5mes des produits planifiés, surtout le pétrole, l’alimentation, les médicaments et le matériel médical sont concernés. L’économie cubaine a clôturé 2024 avec un déficit de 900 millions de dollars par rapport aux prévisions. Ce résultat négatif limite bien sûr les moyens pour l’autorité pour garantir les denrées de base pour la population.
Les coupures de courant pèsent sur la population et l’industrie.
Fin 2023 les la livraison stabile de combustible se détériore, une situation encore aggravée en 2024. Le manque de disponibilités pour les investissements indispensables dans les centrales électriques vétustes, combiné au manque de combustible, a plongé Cuba dans le noir à trois reprises l’année dernière. Tout les jours la production manque de 1.400 mégawatt. L’impact sur l’économie n’est pas à négliger, puisque sans courant les entreprises ne peuvent pas produire. Pour rendre la situation plus acceptable l’autorité communique chaque jour la région et l’heure des coupures prévues. Ceci n’empêche pas que le citoyen cubain en a marre des coupures. Voilà pourquoi la priorité des priorités de l’autorité est d’établir une fourniture d’énergie stable. Ceci est un grand défi que le gouvernement désire accoupler à un transfert simultané vers plus d’énergie solaire avec comme objectif de produire la moitié des mégawatt nécessaires avec des panneaux solaires d’ici 2028.
Pour 2025 les prévisions sont légèrement positives, en tout cas pour la fourniture de combustible pour les centrales. La production nationale de pétrole reste à niveau. Le Mexique c’est engagé pour une hausse des fournitures et un contrat à long terme a été conclu avec la Russie.
Des remesas en baisse et une dollarisation douloureuse.
Il n’y a pas de chiffres officiel des remesas entrantes, l’argent que les Cubains résidant à l’extérieur envoient au pays On estime que 26 % des Cubains reçoivent de l’argent de l’extérieur, surtout des États-Unis. Une étude du Dialogue Inter-Américain estime les remesas pour 2023 à 2.458 dollars. Mais en 2024 les États-Unis ont interdit à Western Union d’envoyer encore de l’argent à Cuba via Fincimex. Ceci a renforcé la tendance de ne plus envoyer de l’argent mais des colis d’aide, surtout alimentaire. Les dollars qui rentrent encore à Cuba le font de façon informelle, par des voyageurs. Ces devises échappent totalement au contrôle de l’autorité, pénètrent le marché noir et agrandissent le fossé social entre Cubains. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la « dollarisation » partielle. L’autorité cubaine a introduit la « tarjeta clásica » comme mesure pour récupérer les devises en circulation. Chaque Cubain peut ouvrir cette « carte de banque classique » avec ses devises en cash et sans présenter une preuve d’identification, uniquement le code pin est nécessaire. Le propriétaire peut ainsi faire des achats dans les « magasins à dollars » existants, qui proposent des produits introuvables ailleurs.
« Ceci est-il une mesure capitaliste ? ». Oui déclare l’ambassadeur et ça fait mal. « Le gouvernement prend cette mesure à contre-courant. Mais il faut récupérer les devises qui circulent dans le pays, afin de pouvoir les investir dans la santé ou l’éducation. Car tout le monde va chez le médecin et tous les enfants vont à l’école, et là il n’est pas nécessaire d’avoir des dollars ».
Production alimentaire insuffisante.
Malgré une légère amélioration par rapport à 2023 la production alimentaire, certainement de lait, d’oeufs, de viande et de maïs reste insuffisante. La situation est tellement grave que le paquet de base, que chaque Cubain peut acheter à des prix subsidiés, provient entièrement de l’étranger. Un exemple frappant en est la portion de pain quotidienne qui n’est pas toujours disponible, alors que le pain est très cher sur le marché libre. La basse production est due à un ma,que de capital, de combustible (moins 90 %), un parc de machines dépassées et une capacité d’irrigation limitée. Mais il ne faut pas oublier les dégâts causés par les puissants ouragans à 17.000 hectares de plantations, 190 fermes porcines, 134 fermes avicoles et 60 serres. Des chiffres du ministère de l’agriculture confirment une baisse de la production par rapport à 2019 des poulets de 63 %, d’oeufs de 95 %, de porcs de 73 %, d’alimentation animale de 83 %.
L’inflation fait croître les prix alimentaires.
Ce qui touche surtout les Cubains ce sont les prix élevés de la nourriture, qui ont augmenté de 24,88 % l’année passée, en plus des 30 % de 2023. Cette inflation semble se stabiliser plus ou moins cette année et a baissé en mars 2025 à 20 %. Inflation signifie perte de pouvoir d’achat. Il est surprenant que pas tous les secteurs subissent des prix croissants dans les mêmes proportions. Les produits des entreprises publiques n’ont augmenté « que » de 13,97 %, par rapport à une hausse de 82 % sur le marché privé. Sur les marchés de fruits et de légumes officiels les prix ont à peine augmenté de 4 %, mais les Cubains estiment l’offre insuffisante et de moindre qualité.
L’inflation se fait aussi sentir pour la valeur de la monnaie nationale par rapport au dollar. En rue, en 2023, le dollar s’échangeait contre 275 pesos, en 2024 la valeur en rue variait de 300 à 390 pesos. Pour limiter le taux de change du marché noir le gouvernement à changé le taux de change officiel de 25 à 120 pesos le dollar.
Des bas salaires et des prix de consommation élevés.
Ces chiffres économiques bruts démontrent clairement que les Cubains ont problèmes pour nouer les deux bouts. Avec une pension d’en moyenne 2.075 pesos ou un salaire mensuel moyen de 5.839 pesos on ne va pas loin quand un carton de 30 oeufs coûte 1.500 pesos. Le gouvernement constate également que les frais du paquet de base d’articles et de services, estimé pour un ménage de trois personnes, sont plus élevés que le revenu salarial des mêmes personnes, mais se trouve le dos au mur. Rien de surprenant que 37 % de la population active est passée vers des entreprises privées, où les salaires sont plus élevés, ou émigrent. Le gouvernement tente de répartir le plus justement possible les produits limités, avec une priorité pour les personnes les plus vulnérables. Celles-ci sont surtout les personnes touchant la pension ou le salaire minimum, un groupe de 20 à 25 % de la population.
Il n’y a pas de solution à court terme pour contrôler la situation, le problème étant plus complexe. Une reprise du tourisme et des exportations doit faire croître les entrées de l’état. Ceci demande de grands efforts des autorités et de l’industrie, mais aussi de la population qui devra faire preuve de compréhension face aux décisions difficiles que le gouvernement devra encore prendre.
Cuba compte sur la solidarité internationale.
« Est-ce que ceci est la fin de la révolution ? », a avancé l’ambassadeur cubain. « Non, nous continuons à résister, même si c’est difficile, avec le même drapeau et les mêmes slogans : Venceremos, nous vaincrons !, et grâce à la solidarité internationale ». Avec Trump dans la Maison Blanche il voit une opportunité pour l’Europe. Maintenant que l’administration Trump dirige ses flèches vers l’Europe,les relations bilatérales sont sous pression. C’est un moment pour se distancier des États-Unis et de renforcer les relations entre l’Union Européenne et Cuba. Les mouvements de solidarités peuvent jouer de cette corde.
Notes :
1.http://www.cubadebate.cu/opinion/2025/01/09/la-economia-mundial)en-2024-y-perspectivas-para-2025-los-impactos-para-cuba-parte-i/
2;https://www.agrolatam.com/nota/habanos-reporta-record-de-ventas-en-2024-impulsado-por-el-creciente-mercado-asiatico/